Qui étiez-vous avant d'arriver sur l'île ?
L'île vous a-t-elle transformé ?J'écris ces quelques lignes tant qu'il me reste un peu de la mine du crayon que j'ai subtilisé lors du crash du Skywest. J'ai aussi trouvé un petit bloc note, mais c'est tout. J'espère avec ça, que quelqu'un pourra se souvenir de moi si jamais je disparaît sur cette île maudite. Ce qui sera certainement le cas, sachant que le premier crash aérien sur l'île date de sept ans déjà.
Je m'appelle Eileen Milosevic. Enfin non, Eileen n'est pas mon vrai nom, mais il me convient bien. Il est le nom d'emprunt que j'ai porté le plus longtemps et pour une raison que j'ignore, il me plaît.
Je suis loin d'être une fille modèle, du moins pour mon père et mes frères, c'est le cas.
Je viens d'une famille riche et connue en Serbie, mon oncle était le président du pays, ma mère, sa sœur, m'a apprit beaucoup de choses qui m'ont servit tout au long de ma vie, c'est grâce à elle que je suis encore en vie aujourd'hui, même si elle, n'a pas eu cette chance.
Mon père était dur et froid. Mais seulement avec moi. Je suis la petite dernière et la seule fille d'une fratrie de six enfants. J'ai donc cinq grands frères.
Je les ai toujours vu comme des modèles à suivre. Ils étaient forts, grands respectés, tout ce que je voulais, c'était leur ressembler. Mais Papa a dit non à l'aide de son bâton préféré, celui qui m'était dédié.
C'est à ce moment là qu'ont commencé les cours de Maman. Ceux qui me servent encore aujourd'hui. Certes, je ne suis pas forte comme mes frères, mais j'ai l'intelligence qu'ils n'ont pas exploité. Ma mère m'a éduqué à coup de livres, dans le sens littéral du terme, mon père à coup de bâtons, sens propre.
Tout allait bien jusqu'à ce que mon père parle de mariage. Tout est allé si vite que sans que j'ai eu le temps de m'y opposer, j'étais déjà promise à un inconnu. J'ai commencé a parler à mon père, à lui dire que je préférais me battre aux côtés de mes frères mais lui continuait inlassablement à me rétorquer que je serai une femme de bonne famille, que je lui offrirait des petits enfants magnifiques avec cet homme dont je ne connaissais rien à part le nom.
Et il est mort. L'inconnu. Mon futur époux est mort au combat. Là où je voyais un don du ciel, mon père voyait une tragédie. J'ai d'abord culpabilisé. Je croyais que c'était de ma faute. Chaque soir, je priais pour que quelque chose, ou quelqu'un me sorte de cette situation. Et ce quelqu'un avait répondu à mes prières. C'était fini, j'étais libre.
Mais je n'en restais pas là, si le plan de mon père pour ma vie avait échoué une fois, il ne tarderait pas à trouver un plan B. À ce moment là, je ne serai plus là pour le voir. Avec ma mère, nous avions prévu de rejoindre mon oncle, qui était prêt à nous aider à commencer une nouvelle vie. Mais le jour était mal choisit et c'est là que j'ai comprit que personne n'avait répondu à aucune de mes prières : c'est arrivé tellement vite que je ne saurai dire dans quel ordre ce sont produit les événements. D'abord c'était l'arrestation de mon oncle, ensuite, le policier blessé, la mort de l'un de mes frères et enfin notre arrestation, Maman et moi. Où était-ce l'inverse?
Nous avons toutes les deux été enfermées, depuis je n'ai plus eu de nouvelles de quiconque.
Deux ans, c'est long et on ne guérit jamais vraiment de ce genre de traitement. J'ai fugué, oui, je voulais m'enfuir, oui, mais est-ce que j'avais vraiment mérité les traitements spéciaux?
C'est en sortant de là que j'ai apprit la mort de Maman. Je suis rentrée chez mon père et tout à recommencé. Sauf que cette fois-ci j'étais seule. Je ne sais pas combien de temps je suis restée si triste, si lassée du monde qui m'entourait. Je n'avais plus de force, plus d’énergie pour me battre et surtout, je n'avais plus d'espoir. Je m'occupais de ce que mon père voulait bien que je m'occupe, j'étais la nouvelle femme de la maison, je devais faire comme Maman faisait avant que toutes ces horreurs ne nous arrivent.
Puis Papa m'a de nouveau parlé de mariage et j'ai explosé. Toute la force qui s'était enfouie en moi, loin dans mon âme, est ressortie plus forte. Mais j'étais seule contre cinq personnes : Papa et mes quatre frères. Heureusement, mon père a seulement caché mon passeport. À sa place, je l'aurais brûlé, parce que je l'ai retrouvé et je me suis envolée loin.
Grâce à son argent, que j'ai emprunté sans jamais prévoir de lui rendre, je suis partie pour Zagreb, avant de prendre un bus jusqu'à Munich. Puis Bruxelles où je trouvais un vol en direction de New York.
Je croyais être enfin libre, mais cinq ans plus tard, mon père m'a retrouvé. J'ai courut, aussi vite et fort que je l'ai pu. Si bien qu'il en est mort, fauché par une voiture dans la poursuite.
C'est là que j'ai comprit : Jamais je ne serai plus en sécurité nulle part. Où que je sois, quoi que je fasse, mes frères me poursuivraient jusqu'à ma mort.
J'ai d'ailleurs revu l'un d'entre eux quelques mois plus tard : l'aîné. Très près de la mort, j'ai réussit à m'échapper, une fois de plus, et je n'ai jamais cessé de le faire depuis.
Le jour de mon vol pour Sydney, je n'ai pas vraiment choisit la destination, ni mon nouveau nom d'emprunt d'ailleurs, trop absorbée par la date qui n'était autre que le jour qui me rappelait que j'étais en grande partie responsable de la mort de Maman. Elle était partie sans même que j'ai pu lui dire adieu et dans des conditions ignobles. C'est un pincement au cœur et une boule de plomb dans l'estomac que j'ai prit le premier vol en y mettant le restant de mes économies : le Skywest 316 pour Sydney.
D'un coin de l’œil, j'ai aperçut l'un de mes frères. Je ne pense pas qu'il ai été là pour moi, il avait l'air dans ses pensées, mais je me suis quand même faufilée rapidement jusqu'à ma porte d'embarquement et ai dit adieu à l'Amérique.
Enfin me voici, sur une île pas si déserte que ça, mais apparemment difficile à trouver.
J'ai perdu la foi depuis plusieurs années, surtout pendant mes deux ans passés en prison en fait, mais ce qu'il m'arrive maintenant est quand même assez incroyable : je suis en vie et loin, très loin de ma famille. Une chose est sûr : si les survivants du premier crash aérien n'ont pas trouvé de sauveurs, mes frères ne trouveraient pas leur vengeance. Eileen 1, grands frères 0.